C.G. JUNG : Sur les fondements de la psychologie analytique Les conférences Tavistock

2011, Albin Michel, Paris - ISBN 978-2226208903

La lecture de la traduction en français des conférences qui se sont déroulées sur cinq soirées, fin 1935 à la Tavistock clinic à Londres, nous rendent présent un Jung didactique, vivant, dans la présentation de ses concepts théoriques, illustrés par de nombreux exemples cliniques et des références culturelles impressionnantes.
Et même si, dans la dernière conférence sur le transfert (sujet demandé par les auditeurs et que Jung n’avait pas prévu de traiter en tant que tel) transparaît un peu de la lourdeur d’un cours théorique, celle-ci témoigne de la profondeur des recherches théoriques de Jung sur le fonctionnement psychique, tel qu’il le concevait en 1935.
1935 c’est aussi l’année la publication de « La dialectique du moi et de l’inconscient » (écrit en 1928), d’un article sur « des archétypes de l’inconscient collectif » (Les racines de la conscience), du commentaire psychologique du Bardo Thodol, de deux articles sur la psychothérapie (La guérison psychologique), puis en fin d’année d’un article sur « l’esprit immortel de l’homme », thèmes de ces ouvrages que l’on retrouve dans les conférences.
Il y aborde en effet sa conception de la conscience et de l’inconscient dont celle-ci est issue ; il précise son point de vue, différent de celui de Freud (dont les anglais étaient bien sûr plus proches), précise le type de liens du conscient et de l’inconscient au moi, notre complexe « le plus intime et le plus cher », aux contours flous. Il décrit les fonctions que la conscience utilise pour s’orienter vers le monde exopsychique (pensée – sentiment – sensation – intuition), leur organisation par rapport au moi, dont dérivent les différents types psychologiques, puis les fonctions moins connues (car peu développées par la suite ?) pour s’orienter vers le monde endopsychique (la mémoire, les composantes subjectives des fonctions, les émotions et les affects, l’irruption).
Il traite d’abord de l’inconscient et de la première des trois méthodes permettant d’y accéder : celle des associations, à travers des cas cliniques vivants et qu’il présente avec un esprit très scientifique. Suit sa conception de deux inconscients : l’un personnel et qui peut devenir conscient et l’autre collectif à jamais inconscient et régulé par les archétypes. Par des exemples vivants (la roue solaire) il cherche à convaincre son auditoire de l’existence de cet inconscient collectif et de l’importance de la vie des archétypes dans le quotidien des peuples, dans celui des conflits et des guerres (évoquant une menace en Allemagne en cette année 1935). Il en déduit un schéma de la sphère psychique. Introduisant, à partir de ses découvertes sur les associations, sa notion des complexes qui viennent les perturber, il insiste sur leur plus ou moins grande autonomie, notamment dans les psychoses et sur l’illusion de l’unité de la conscience et du complexe moi.
Avant d’aborder sa deuxième méthode d’accès à l’inconscient : les rêves, il fait allusion aux tests d’association dans la famille. Jung ne fut-il pas le premier à mettre en évidence ces liens psychiques inconscients familiaux qui nous semblent si familiers aujourd’hui ?
C’est à travers un exemple clinique très vivant d’un homme pris de vertiges, dont trois rêves (Jung insiste sur les séries) mettant en scène une position héroïque et une lutte magique contre le dragon révèlent une ambition démesurée par rapport à ses origines, que Jung précise sa pratique de l’utilisation des rêves et sa position différente de celle de Freud. Les associations ne lui servent, dit-il, qu’à établir le contexte du rêve et il ne recherche pas le complexe lui-même comme le fait Freud en poussant les associations mais ce que l’inconscient fait du complexe à travers le rêve, qui n’est pas, pour lui, un déguisement de désirs incompatible avec le conscient, mais un texte que nous ne comprenons pas, à déchiffrer.
Devant ce public, Jung va insister pour considérer la fonction du rêve, d’une autre façon que celle théorisée par Freud. Il démontre sa qualité naturelle, son rôle compensateur, sa fonction d’autorégulation de notre système psychique. Son immense culture lui permet d’illustrer ses propos en référence aux mythes, tel celui du serpent, symbole de danger mais aussi de guérison, gardien du trésor et trésor lui-même. Il introduit par là sa conception de la quête de l’union des opposés, chemin vers celle d’entièreté sous l’égide d’un centre qui n’est plus le moi, mais le soi. A travers les images archétypiques qui nous relient à l’humanité en nous, Jung précise sa notion de collectif, avec sa valeur thérapeutique ; car l’accès au collectif libère de la honte et permet de récupérer de l’énergie. Ses exemples et ses références aux mythes antiques sont toujours une mine de savoir et de découvertes.
Tout l’essentiel de la mise en place de sa théorisation du psychisme, on le voit, est abordée dans ces quelques conférences et ceci sans lourdeur ni académisme, avec un ton toujours vivant et documenté.
Jung devait, dans la dernière conférence, continuer à présenter ses méthodes d’exploration de l’inconscient par le rêve et l’imagination active et ainsi, « si les auditeurs avaient été plus patients, à traiter du transfert » ; mais il accepta néanmoins de terminer sur cette question plus « concrète » et moins « théorique ». C’est pourtant à un véritable cours que les participants vont assister, avec trois « chapitres » : définition-étiologie-thérapie.
En le définissant comme un cas particulier de projection automatique et spontanée des contenus subjectifs sur un objet, ici le thérapeute, le transfert donne une objectivité à l’objet et plonge le sujet dans le monde de l’illusion. Jung va insister sur le fait que cette illusion peut atteindre le thérapeute, car il est forcément, par contagion, touché par l’émotion du patient et doit l’accepter (avait-il entrevu ce qui se dit aujourd’hui des neurones miroirs ?). L’émotion faisant partie du transfert, le divan « freudien »n’est pas forcément pertinent et la différence de traitement de l’émotion, selon les types de fonctionnement psychique, demandera au thérapeute un travail adapté : « il faut répondre aux gens dans leur fonction principale », sinon, ils peuvent, au moins dans un premier temps, ne rien entendre.
A cause du risque qu’analysant et thérapeute soient soumis à la même inconscience, (avec la constellation tant des contenus de l’inconscient personnel que des archétypes) créant cette participation qu’il nommera plus tard mystique et qu’il assimile au contre-transfert de Freud, à cause des projections réciproques qui ligotent les deux protagonistes, Jung insiste, devant ce public averti, sur la nécessaire analyse des thérapeutes, non évidente à l’époque.
Dans la partie concernant l’étiologie du transfert, Jung précise son caractère spontané « comme un coup foudre », parfois même avant la première séance. Pendant l’analyse, face aux difficultés de communication, le transfert s’installera des deux côtés, par compensation, notamment avec certain sujets aux complexes particuliers. L’inconscience étant mutuelle et la contamination obligatoire, le transfert pour Jung, au moins à cette époque et, contrairement à Freud, n’est qu’un obstacle : « On ne guérit pas grâce à lui mais malgré lui ». Le transfert n’est pas le mécanisme qui permet de faire sortir le matériel, le rêve y suffit ; et il n’est pas nécessaire de susciter le transfert. D’autant plus que des projections de nature archétypiques sont toujours possibles, mettant le thérapeute aux prises avec la puissance des archétypes, celui du sauveur notamment.
Il termine cette partie très dense avec la thérapie du transfert : comment le résoudre, arriver à se rendre compte de la valeur subjective des contenus personnels, « jusqu’à la nursery », et impersonnels, avec les effets magiques et sidérants de ceux-ci, toujours projetés, sur les rites, les religions (Jung fait encore état à ce propos de son immense culture). C’est toute la valeur subjective des images que Jung invite, à la différence de Freud, à travailler ; le contenu ne peut pas disparaître car il fait partie de la structure de l’individu, c’est l’acte de projeter qui est interrogé. Cela lui permet de parler des religions (Psychologie et religion sera publié en 1940) et des grandes forces collectives en action en cette période après la guerre de 14/18. Ce travail précise-t-il, est difficile, car il faut trouver un contenant aux images impersonnelles, par une technique particulière et s’y relier, afin de situer le centre de gravité à l’intérieur du soi. Le temps lui manque pour parler de ce centre non moi – le soi – et de l’intérêt à se pencher, à ce sujet, sur les écrits alchimiques qu’il travaille par ailleurs. Cette question du transfert, en travail chez Jung en 1935, aboutira à la publication de La psychologie du transfert, dix ans plus tard.
Le vivant de ces conférences se retrouve bien entendu dans les échanges avec les participants. Les nombreuses questions par rapport à Freud permettent à Jung de préciser ses points de vue. D’autres interventions lui donnent l’occasion de développements inédits à l’époque comme l’idée de la névrose en tant que tentative de guérison ou l’effet symbolique de l’objectivation des images en imagination active. Il introduira la question téléologique, la synchronicité et le lien corps-esprit en évoquant la différence entre orient et occident qu’il développera dans les années suivantes. Il termine par une très belle démonstration d’une interprétation de dessins.
Ainsi dans ces conférence, la plupart des conceptions fondamentales de Jung, déjà assises ou en devenir sont abordées par lui et à travers les questions de participants. Qui veut découvrir Jung y trouve l’essentiel, qui « connaît » Jung trouve un plaisir certain à cette présentation claire, riche et surtout très vivante.


Publié par Paulin Mahieux Maryse le 24 février 2017 dans Recensions de livres