Jean-Pierre FALAISE : Le travail avec les parents dans les thérapies d’enfants et d’adolescents

Ed Baudelaire, Lyon, 2019 – ISBN 979-10-203-2086-5

« Un enfant,
Avec un peu de chance,
Ça entend le silence
Et ça pleure des diamants… »
Jacques Brel

Il en faut un peu, de la chance, pour qu’un enfant puisse entendre le silence. Puisse y goûter, puisse s’en réjouir ou s’en inquiéter, puisse l’habiter ou le fuir, puisse y composer sa propre mélodie. La chance d’avoir un milieu qui ne brouille pas – trop – les ondes, qui soit prêt à entendre le silence ou l’écho de ce silence. Ou celle d’un tiers qui aide à amplifier ce doux ou inquiétant silence pour mieux l’appréhender ; ou, au contraire, qui amplifierait le bruit pour en distinguer les formes sonores, les rendant ainsi plus audibles.
En « pleur[ant] des diamants », l’enfant donne aux adultes l’opportunité d’entendre la souffrance et/ou les blessures ; pourtant ces pierres précieuses à la fois « brutes et anguleuses », mais aussi lumineuses et réfléchissantes peuvent être également le lit d’un bonheur authentique, parce que poli par la rencontre et le dialogue, que les larmes viendraient arroser.
Le lieu de la transformation de « l’imparfait malheureux » en un « imparfait heureux », comme le dit Bernard Montaud. Accueillir un enfant en thérapie est une expérience singulière en cela que, d’emblée, nous accueillons une famille : l’enfant n’arrive jamais seul en séance. Dès la salle d’attente, au moins trois personnes se retrouvent présentes : l’enfant, son/ses parents et le thérapeute.
Cela pourrait n’être qu’éphémère si le thérapeute choisissait de continuer l’expérience en donnant au patient, celui nommé à la demande de rendez-vous – l’enfant – l’exclusivité de son attention. Les séances se feraient entre l’enfant et le thérapeute. Alors, comme dans le cadre de la thérapie d’adultes, tous les protagonistes conviés en thérapie, seraient accueillis sur les scènes psychiques du patient et de son thérapeute, par le jeu symbolique, le langage, le dialogue. Cette position, si elle se justifie parfois, semble être le lieu de la fatigue de nombreux thérapeutes d’enfants, qui abandonnent cette clinique faute de n’avoir pu/su gérer les parents. Ceux qui n’arrivent pas à partir avant ou après la séance. Ceux qui se déversent sans que le cadre ait été prévu pour contenir ces débordements et qu’on envoie alors voir un confrère. Ceux qui ne disent pas... nous laissant parfois découvrir – stupéfaits – après des mois de thérapie tâtonnante, le cadavre au fond du placard.

Dans son ouvrage, Jean-Pierre Falaise nous entraîne dans une approche assez nouvelle de la thérapie d’enfants. Curieusement nouvelle, ai-je envie de dire. L’auteur nous propose une nouvelle partition pour cet opus thérapeutique ayant pour thème le « qui suis-je ? », caché derrière la symptomatologie qui amène en thérapie. Pour entrer dans ce travail, la question posée est : Comment faire avec les parents ? Comme un leitmotiv, l’auteur reprend cette idée que « l’enfant est un triangle ». Le triangle Père-Mère-Enfant.
Il l’est. C’est sa nature d’enfant que de vivre dans une dépendance à ceux qui lui ont donné la vie, et/ou à ceux qui en ont la responsabilité. « L’aspiration à devenir auteur et acteur de sa vie est indissociable du milieu-porteur-parental lui-même inscrit dans un univers social signifiant. » (Falaise 2019, p. 7)
Il l’est. Et cela ne lui enlève rien ni de son unicité, de sa singularité, ni de la possibilité de s’en émanciper en temps voulu. Ce triangle c’est comme l’équerre contre laquelle l’enfant peut s’appuyer pour construire sa route. Comme le toboggan qui l’aide d’abord à grimper et qui lui donne ensuite de l’élan. C’est ce qui permet l’affirmation de soi en lui permettant de « se sentir libre parce que contenu » (Ibid). La réponse de Jean-Pierre Falaise est finalement assez simple : il s’agit de faire avec. Les parents « participent » au processus thérapeutique ; ils sont conviés en séance, à certaines séances, seuls ou en présence de leur enfant, sur un rythme régulier et souple. Dans un long parcours, parsemés d’exemples cliniques dont la variété semble presque exhaustive , nous cheminons avec cette proposition du « faire avec ». Intégrer les parents dans le processus thérapeutique, mobiliser leurs capacités à être parents de cet enfant-là, avec ses besoins spécifiques, en leur offrant l’espace nécessaire à la (re)lecture de leurs propres enfances, de leurs imagos parentales, de leurs désirs, de leurs déceptions, de leurs blessures, de leurs projections. « Vous [thérapeute.s] êtes investis pour traiter un triangle défectueux » écrit l’auteur de cet ouvrage. En explorant ce cadre de travail avec le triangle, avec l’enfant et ses parents, nous sommes invités à voir émerger une grande créativité thérapeutique dans le dialogue, non plus symbolique, mais bien réel, de l’enfant avec ses parents, et/ou avec sa fratrie, médiatisé par le tiers thérapeute. La rigueur du cadre proposé n’en est pas moindre et c’est grâce à elle que parents et enfant pourront « se rejoindre ».
« Un cadre garant de l’articulation vitale entre la position de sujet de l’enfant, la position de responsabilité des parents, et le soutien apporté à leur parentalité par le thérapeute face à leur inquiétude teintée de culpabilité. » .

Accueillir un enfant en thérapie est une expérience de rencontre dans un bain langagier et symbolique particulier. Le jeu et le dessin sont deux de ces portes d’entrée vers l’organisation psycho-émotionnelle, relationnelle, physiologique etc. de l’enfant. L’enfant ouvre grandes les portes de son monde, souvent sans retenue à qui sait écouter, à qui sait entendre, à qui sait patienter...

Recevant moi-même des enfants en thérapie, j’entendais dernièrement les parents d’un petit garçon de 5 ans me dire : « On voit bien que notre fils va mieux. Pourtant vous faites des dessins, des histoires, des légos. On ne comprend pas bien. » Cela nous a permis de relire ensemble ce qui avait été échangé avec leur fils, et même, plus tard, d’inclure la mère dans un jeu de légos. Le triangle fonctionnait : l’enfant s’exprimait symboliquement dans le jeu ; je « décodais », verbalisant les enjeux de sa naissance qu’il était en train de mettre en scène dans un vaisseau-restaurant lego ; la maman accueillait et transformait ces contenus bruts en éléments relationnels et émotionnels inscrits dans une histoire partagée, la « fonction alpha » . Notre rôle de décodeur, d’interprète, vient permettre de rendre audible ce qui ne l’était pas dans le dialogue parents-enfant.

Avec un pas de côté, avec une autre inclinaison du regard, le prisme des lumières – personnelles et familiales – de l’enfant peut être révélé, extrait du carbone, matrice originaire de la combinaison qu’est devenu cet enfant. La participation des parents à certaines séances de leur enfant, leur permet d’interpeller, de s’approprier, de se déplacer avec nous… « Bien souvent [l’enfant] attend que le thérapeute puisse comprendre ce que lui-même ne sait pas, ou qu’il ne peut donc pas dire et que, de ce fait, les parents ne peuvent pas entendre. » En somme, en « faisant avec » les parents, la thérapie devient un lieu de rencontres où nous – enfant, parents et thérapeute – pouvons créer les conditions favorables à l’épanouissement de la vie intérieure de l’enfant, à la possibilité de dire « Je suis... », tel Ulysse qui peut décliner son identité une fois qu’il « est tiré d’affaire » .

Enfin, la lecture de cet ouvrage pourrait nous permettre de compléter notre tangram avec ce nouvel aphorisme : Le thérapeute est un triangle. Le lecteur est, en effet, sans cesse ramené à ce tiers « révélateur » qu’est l’autre thérapeute. L’autre, auteur d’ouvrages thématiques, dont il pourra enrichir sa pensée, donc sa présence, sa clinique. Le livre de Jean-Pierre Falaise est avant tout un ouvrage clinique, dans lequel on sent l’auteur pétrir la pâte de la relation thérapeutique. Un ouvrage clé pour la clinique de l’enfant. Cette clinique est nourrie de multiples références, dans des domaines variés, qui viennent appuyer son propos, l’éclairer et nous enrichir. Ou l’autre, le superviseur qui viendra entendre les échos, les résonnances de ce lien particulier que nous avons avec nos patients, pour y déceler les émotions, les ombres et les lumières qui dansent dans le bain mercuriel, avec parfois une autonomie de rythme ou de mélodie, et qui échappent à l’attention d’un seul.

Jean-Pierre Falaise est décédé le 30 juin 2020, à l’âge de soixante-dix-neuf ans. Avec passion et générosité, il a contribué au partage de la pensée jungienne en tant qu’enseignant, collègue, superviseur et thérapeute. Son écoute de grande qualité n’était pas sans humour !


Publié par Sophie Pailloncy de Scorbiac le 15 décembre 2020 dans Recensions de livres