Nathalie PILARD : Sur Jung et le Yi King. Intuition et synchronicité dans la préface de C. G. Jung au Livre des changements

2010, Arché Milano, Milan - ISBN : 978-8872522943

C’est un livre à la fois léger, joueur, plein de résonances et d’ouvertures, et, dans certains chapitres, alourdi de références livresques et d’exigences méthodologiques. Il m’a fallu plusieurs lectures pour pouvoir y entrer, le laisser résonner et comprendre les contradictions et les affects qu’elles éveillaient.
Voici un livre qui parle de Jung – et l’on sait la difficile reconnaissance de Jung dans le milieu académique –, du Yi King – un vieux livre de divination chinoise –, de l’intuition et de la synchronicité qui ne peuvent se dire dans un langage uniquement rationnel. Et cela dans le cadre d’une recherche universitaire, mémoire ou thèse, là où l’esprit scientifique est de rigueur. C’est presque un défi, un pari, ou au moins une gageure.
Cependant, l’auteur a trouvé sa propre méthode pour nous faire ressentir et vivre ce qu’est l’intuition, la sienne et celle de Jung : c’est ce qu’elle appelle les “collages”.
Voici comment elle en parle dans le chapitre 2, « La reconnaissance intuitive du Yi King par Jung » : « Afin de révéler l’harmonie des paroles (celles de Jung et celles du Yi King), j’ai “collé” les unes à côté des autres quelques-unes de leurs pensées. Ces citations, collectées durant mes recherches, se sont réunies sous mes yeux par évidence » (p. 39). Ici, c’est l’intuition à l’œuvre, qui n’explique pas mais propose et dispose. Elle dit encore, à propos des collages : « Pour suggérer l’écho, la résonance, chaque forte du chant de Jung, signalé par un caractère gras, appelle dans l’ordre celui du chant du Yi King. Ce dispositif rigoureux, très éloigné de la méthode scientifique, veut mettre en valeur le plus justement possible l’étrange familiarité que ressent Jung avec le Yi King » (p. 40). Dans ce même chapitre, l’auteur nous donne encore à voir comment elle laisse se déployer et travailler sa propre intuition en rapprochant les premières illustrations du Rosaire des Philosophes des hexagrammes tirés par Jung pour la préface de 1949. Et le lecteur peut s’ouvrir, accompagner et « se mettre au diapason ».
Dans les chapitres 3, 4 et 5, elle revient à une rigueur scientifique en proposant une méthodologie comparative qui ne peut, à mon avis, atteindre l’objectif fixé.
En effet, les trois préfaces étudiées sont extrêmement différentes.
Dans la préface de 1948 (chapitre 3), Jung semble écrire à contrecœur, par obligation, envers sa traductrice du Yi King et envers Wilhelm ; il parle du Yi King et des tirages de façon très peu claire, n’aborde pas du tout la synchronicité. Finalement, il n’utilisera pas cette préface. Le commentaire qu’en fait N. Pilard est le suivant : « La maladresse (de Jung), trop évidente, nous parle déjà (et seulement) du rapport de Jung avec ses pairs scientifiques » (p. 57). Le chapitre 5 est en rapport avec la préface de 1956 (pour les Collected Works, traduction de Hull). Nathalie Pilard nous donne des exemples de traduction/trahison, où l’esprit scientifique, le désir de logique et de clarté viennent trahir l’intuition et ses obscurités. Ces deux chapitres sont pris dans un champ, une constellation autour de ce que N. Pilard entend comme « la solitude du chercheur et son obligation perpétuelle pour se battre et diffuser ses idées dans un climat de confiance parfois inexistant. » C’est peut-être écho, partage pour l’auteur de ce qu’elle a ressenti du vécu de Jung à certains moments.
Le chapitre 4, lui, est très différent. Il concerne la préface de 1949 dans laquelle Jung présente de façon claire, sûre et directe le principe de synchronicité, puis décrit l’hexagramme obtenu à la question posée et le dialogue qu’il mène avec le livre personnifié (selon sa façon de faire avec les contenus de l’inconscient). N. Pilard nous donne à voir les “collages” qu’elle fait entre le texte des hexagrammes tirés par Jung et les commentaires qu’il en fait. C’est son intuition à l’œuvre.
Et c’est bien ce à quoi l’auteur nous invite dans le dernier chapitre. Elle y approfondit la notion d’intuition et relie intuition et synchronicité en nous invitant à partager son écoute et à entrer en résonance dans les dix chants qu’elle nous propose. Lorsque l’auteur laisse chanter, jouer son intuition – comme un instrument de musique –, le langage est rigoureux à sa façon, nourri d’images, de métaphores et d’expressions musicales. Elle sait alors nous faire entendre « l’indicible de l’intuition ».


Publié par Lovering Catherine le 24 février 2017 dans Recensions de livres