Vincent PROUVE : Le processus créatif dans la schizophrénie à partir de C. G. Jung — Dynamiques psychiques, chaos, transformation

L’Harmattan — Paris — 2013 — ISBN 978-2-343-00117-3

Le titre et le sous-titre de ce livre révèlent d’emblée la dynamique dans laquelle nous entraine Vincent Prouvé. Si le thème en est la schizophrénie, il est abordé dans toute la complexité de la pensée jungienne quant à l’exploration des processus sous-jacents à cette pathologie. S’appuyant sur des recherches dans d’autres domaines scientifiques et soutenu par sa clinique, Vincent Prouvé est amené à l’envisager, comme un système dynamique ouvert et complexe.
« Nouvelle lunette », dit-il, prenant en compte la capacité de transformation de la nature — passage par le chaos y compris.
Le travail proposé ici pourrait tout aussi bien se concevoir comme une étude des processus psychiques en général.
L’un des mérites de ce livre, et non des moindres, est de mener le lecteur de façon très pédagogique, du début du XXe siècle où les fondateurs de la psychanalyse s’affrontent sur ce qui est alors appelé « démence précoce », jusqu’à nos jours où la schizophrénie reste engluée dans des positions tranchées, voire sclérosantes, avec une réponse médicamenteuse prédominante.
Cette recherche propose l’hypothèse d’une autre façon d’envisager la crise schizophrénique, une approche théorico-clinique fondée sur le sens donné à la crise et sur ses processus sous-jacents, permettant d’aboutir à la possibilité d’une autre prise en charge psychothérapeutique des patients, elle-même fondée sur la pensée complexe jungienne.
S’appuyant historiquement sur les travaux issus de la clinique du Burghölzli (Bleuler, Jung) V. Prouvé réactualise et revisite les travaux de Jung, offrant dans une première partie un véritable enseignement quant à l’élaboration de la pensée de ce dernier, d’abord essentiellement psychiatre confronté à la psychose et débattant avec Freud sur les questions de l’hystérie, de l’inconscient et de la libido.
De là, l’auteur amplifie son propos avec les recherches de cliniciens et théoriciens de la schizophrénie plus contemporains, offrant au lecteur un panel bibliographique d’envergure, recherches axées sur une approche dynamique des processus. Ainsi est présenté ce qu’il appelle « les bases d’une autre approche de la schizophrénie ».
Ces bases données, Vincent Prouvé expose sa pratique, indiquant de manière claire et très engagée les aléas du travail clinique entrepris avec deux patients, Jonathan et Paul. En cours d’exposé, il propose de nouveau des ponts avec la théorie jungienne, base de son travail de clinicien. Le travail avec les rêves est présenté au plus près, ainsi que l’engagement personnel du thérapeute.
À partir des travaux de J.W. Perry étudiant les processus en jeu dans la crise schizophrénique, la précrise et leur traitement, Vincent Prouvé propose une conception originale et résolument jungienne. Il s’engage dans une distinction argumentée dans laquelle il conçoit la « précrise » (la personnalité prépsychotique étant devenue caduque du point de vue de l’adaptation) comme étant la véritable pathologie, tandis que la crise elle-même — équivalente au chaos — est considérée comme une possibilité de transformation d’un fonctionnement obsolète. Œuvre ici la créativité de l’inconscient soutenue par la notion de finalité, présente tout au long du livre, en opposition avec une conception causaliste de la schizophrénie.
C’est également le processus créatif qui est à l’œuvre dans la thérapie proposée par l’auteur : l’engagement transférentiel et contre-transférentiel, requis au plus haut point dans ce contexte, est présenté en référence à la Psychologie du transfert de Jung, tout en mettant en lumière les difficultés et les dangers de l’entreprise.
Vincent Prouvé suggère également que les notions de créativité et de finalité rapprochent la psychologie analytique des recherches faites dans le domaine des sciences dites exactes sur la question du chaos notamment, recherches qui s’intéressent très particulièrement à la « transformation des systèmes, aux fluctuations, à la création d’organisation dans des systèmes loin de l’équilibre, etc. » Car « l’idée de systèmes dynamiques ouverts complexes peut s’appliquer à la fois à la physique, à la chimie, à la biologie, et aussi à la psychologie (de l’inconscient) ». Des ponts peuvent être jetés entre ces disciplines, ce que prône de façon constante E. Morin auquel il fait référence, avec Prigogine, Nicolescu, Quinodoz... et encore K. Wilber, tous auteurs qui s’intéressent non seulement à l’origine d’un système (causalité), mais aussi à son devenir (finalité).
Ce livre est foisonnant (peut-être parfois trop ?), enthousiaste et porteur d’une belle humanité.


Publié par Girault Claudine le 24 février 2017 dans Recensions de livres