Une nouvelle revue dans le champ de la psychologie et de la psychanalyse, à l’heure où l’édition spécialisée est en grande difficulté, cela peut paraître pour le moins téméraire, et l’est probablement quelque peu. Le lecteur sera sans doute intéressé d’en avoir quelques explications.
Il est vrai que la situation de la psychanalyse en occident semble sur le déclin depuis de nombreuses années, au point que, aujourd’hui, nombre de psychanalystes de toutes les écoles ont du mal à assurer leur gagne pain. Pour beaucoup, la mort annoncée de la psychanalyse — mort annoncée depuis maintenant plus d’un siècle — est devenue inéluctable, et ne serait plus qu’une question de temps. Ainsi ceux-là qui l’attendent considèrent les psychanalystes comme une espèce d’illuminés de l’ancien temps qui ne survivent que par habitude, une habitude dont il serait urgent que la société se défasse.
Mais cette apparente évidence est pourtant contredite par plusieurs faits, dont deux au moins méritent d’être énoncés.
D’une part on s’aperçoit que, dans les pays qui n’avaient pas, jusqu’à il y a peu, accès à la psychanalyse (principalement les pays de l’ex bloc soviétique) — que ce soit pour des motifs économiques ou politiques, souvent les deux — il existe un grand intérêt pour cette approche de la psyché. C’est ainsi que les deux principales associations internationales, l’Association Psychanalytique Internationale et l’Association Internationale de Psychologie Analytique, ont été amenées à construire des programmes spécifiques de formation de psychanalystes pour ces pays où rien de tel n’existait. En ce qui concerne la psychologie analytique ces programmes ont été progressivement mis en place depuis les années 1990, sous l’égide des différents Comités Exécutifs qui se sont succédés à sa tête, et avec l’approbation toujours renouvelée de ses Assemblées Générales.
D’autre part le monde de l’édition a vécu un véritable choc devant l’incroyable succès commercial du Livre Rouge, ouvrage monumental (dans tous les sens du terme), dont tout le monde pensait qu’il ne pourrait intéresser que les initiés férus de psychologie analytique et/ou admirateurs de la personne de C.G. Jung. Le travail, la persévérance et la détermination de Sonu Shamdasani ont ainsi porté des fruits auxquels lui seul croyait, pour autant qu’il ait jamais pu en prévoir l’ampleur. Pour les francophones ce fut Bertrand Eveno qui, seul, accepta de prendre le risque d’une traduction, et le succès fut là encore au rendez-vous. Un tel succès, pour un livre qui ne ressemble à rien de connu, vient sans conteste rappeler aux purs positivistes de la science que l’homme ne peut admettre d’être réduit à une machinerie, si complexe soit-elle. Comme l’écrivit Salley Wickers dans The Times, « Pour notre époque où les limites du positivisme matérialiste sont mises en question... la confiance de Jung en la dimension spirituelle de l’homme rencontrera certainement un écho renouvelé. Sa découverte importante est l’existence de ce monde intérieur, qui est aussi vaste que le monde externe. Se couper de cela, c’est se couper de la moitié de soi. »
Mais au-delà de cette “dimension spirituelle” qui ne doit pas être confondue avec une approche religieuse, Jung a toujours eu à cœur de ne pas fonder une nouvelle école de pensée, et encore moins un nouveau dogme. L’intérêt de Jung était bien plus du coté de l’ouverture que de la fermeture. La grande variété de ses correspondants en témoigne.
Il nous importe de rester dans cette perspective, c’est-à-dire dans l’ouverture et le dialogue avec ceux qui ne pensent pas nécessairement comme nous, que ce soit au sein même de notre psychologie analytique, ou avec des scientifiques et penseurs venant d’autres horizons, sans apriori sur des horizons qui seraient acceptables, et d’autre moins.
Il nous semble ainsi que la psychologie analytique est aujourd’hui susceptible de participer, tant auprès de tout un chacun que des scientifiques, à un renouveau de l’intérêt pour la psychanalyse sous ses différentes formes qui, nous en sommes persuadés, sont une part essentielle du corpus des connaissances scientifiques sur la psyché humaine.
Cela seul, pourtant, ne suffit pas à lancer une nouvelle revue, notamment du fait qu’il existe déjà une revue française de psychanalyse jungienne, ancienne, sérieuse et réputée, les Cahiers Jungiens de Psychanalyse, dont le premier numéro est paru en 1974, et dont le succès n’a, depuis, jamais été démenti. Un autre argument de poids nous a déterminé dans le lancement de cette aventure : la nécessité d’avoir une publication non seulement francophone et jungienne comme le sont déjà les Cahiers, mais aussi internationale et de niveau universitaire.
Une revue internationale du fait que les seules revues internationales en la matière sont de langue anglaise, ce qui limite leur accès aux anglophones. Il faut rappeler que l’Organisation Internationale de la Francophonie regroupe aujourd’hui 77 états, dont 57 états membres. De plus, et cela étonne souvent les français eux-mêmes, le rayonnement de la culture francophone est loin d’être éteint : il n’est pas rare de rencontrer des collègues qui ont une grande affinité avec le français. C’est ainsi que le Comité Scientifique de la RPA est constitué de membres provenant de sept pays de quatre continents, seule l’Afrique n’y étant aujourd’hui représentée ; les deux rédacteurs en chef que nous sommes proviennent pour l’un de France et pour l’autre du Brésil. Et, pour les non francophones, il a été choisi de publier les titres, résumés et mots clefs des articles en anglais, allemand, italien, portugais et russe, afin de permettre au plus grand nombre d’y avoir accès.
Une revue de niveau universitaire, c’est-à-dire répondant aux normes et procédures en vigueur dans le monde de la publication scientifique, concernant les modalités de sélection des articles publiés d’une part, et les présentation et richesse des références bibliographiques.
Ainsi chaque article publié a préalablement été évalué par deux membres du Comité Scientifique — trois si les deux premiers évaluateurs ont été en désaccord — ces évaluations se faisant anonymement : les évaluateurs ne connaissent pas le nom de l’auteur et l’auteur ne connait pas celui de ses évaluateurs. À défaut de pouvoir garantir une objectivité — impossible dans le champ de la psychologie clinique —cette procédure garantit l’impartialité des évaluations, donc du choix des articles publiés. Et il faut ajouter, car ce n’est pas neutre, que cette procédure est indispensable aux universitaires et à leurs laboratoires pour que leurs publications soient prises en compte dans leurs propres évaluations, donc autant dans l’évolution de leur carrière que dans l’octroi de budgets pour leurs recherches : dans la plupart des universités seules les publications dans des revues respectant cette évaluation par des pairs (peer review en anglais) sont comptabilisées dans la notation des chercheurs et laboratoires.
Concernant la bibliographie, l’ensemble des références à un texte ou un auteur doit figurer en fin d’article, organisées selon les normes de présentation en vigueur. Cela est d’importance pour permettre aux universitaires et chercheurs, mais aussi à toute personne souhaitant approfondir sa lecture, de trouver facilement les textes dont l’auteur s’est inspiré, ceci à toutes les étapes de son élaboration.
Le respect de cette procédure et de ces normes est enfin nécessaire pour qu’une revue puisse être référencée dans les grandes bases de données internationales (dans notre domaine celle-ci est Psycinfo (de l’American Psychological Association) et seules trois revues de psychologie analytique y sont référencées). Mais il faut aussi que les évaluateurs soient choisis en fonction de leurs expérience, sérieux et réputation, ce qui nous a guidé nos choix pour la composition de notre Comité Scientifique. Outre le fait que tous ses membres sont connus dans le monde jungiens pour la qualité de leurs travaux, la moitié d’entre eux ont, ou ont eu, une activité universitaire et quatre ont reçu le prix Michael Fordham.
Ces normes et critères, si indispensables soient-ils, ne peuvent évidemment former que le squelette d’une nouvelle revue. C’est pourquoi nous pensons que la RPA ne pourra exister qu’à la condition qu’elle soit à même d’être aussi un lieu d’échanges, de dialogue, voire de disputatio, qui permette à la pensée et à la pratique de chacun de se construire, s’élaborer et s’affermir en lien avec celle d’autres différents de lui. Cela, évidemment, est déjà le cas au sein de nos sociétés de psychologie analytique. Mais, d’une part, le monde jungien ne se limite pas à ses sociétés professionnelles et à ses membres. D’autre part il y a fréquemment, au sein d’une même société, un certain nombre de consensus latents qui ne peuvent être discutés du fait même de leur mise en latence. Seule l’ouverture à d’autres, issus de cultures analytiques différentes, peut alors remettre au travail ces consensus qui ont souvent été rangés, sans même que l’on ne s’en souvienne, dans les dangereux tiroirs des évidences, ces pensées qui ont cessé d’être pensées, voire, parfois même, qui ne l’ont jamais été.
Pour ce faire un forum a été mis en place sur internet, forum accessible par notre site web (www.revue-pa.com). Ainsi chaque article pourra être discuté par ses lecteurs, et les auteurs pourront répondre aux questions, interpellations ou contradictions qui leur seront adressées. Il y sera discuté uniquement à "visage découvert" car il n’y a pas de motif valable, dans des échanges qui se veulent professionnels et scientifiques, pour se cacher derrière un pseudo. Techniquement cela implique une inscription préalable avant de pouvoir intervenir sur ce forum, et nous espérons que cette contrainte ne sera pas un frein à la participation du plus grand nombre. Enfin ce forum sera évidemment modéré, le rôle du modérateur étant d’éviter les dérapages toujours possibles sur le web. Mais son rôle se limitera à ce point ; toutes les appréciations, questions et controverses y auront leur place.
Le lecteur trouvera d’abord, dans ce premier numéro, une variété d’articles à l’image de ce que nous souhaitons pouvoir lui offrir au fil des futures publications. Chacun de ces articles est tout à fait indépendant des autres, et le lecteur pourra, à sa guise, les lire dans l’ordre proposé ou selon son propre cheminement. Nous vous proposons cependant une forme de pérégrination au travers de quelques paysages variés de la psychologie jungienne, un voyage qui part d’une réflexion clinique, s’aventure en des contrées plus théoriques, et se pose enfin en un lieu improbable où se côtoient psychologie analytique, bouddhisme et neurosciences.
L’ouverture se fait sur une réflexion clinique et théorique de John Hill concernant une problématique rarement abordée, celle des rapports entre filiation et affiliation. Suit alors un article de Christian Gaillard sur le bleu chez Jung et Picasso, occasion pour lui de développer une réflexion sur la position de Jung face à l’art, et plus généralement le processus de création.
Suivent alors deux articles plus résolument théoriques, et portant tous deux sur la notion d’archétype. Le premier, de Rodrigo Barros Gewehr, universitaire brésilien, apporte un éclairage croisé sur les notions de phylogénèse utilisée par Freud et d’inconscient collectif utilisée par Jung. L’autre de François Martin-Vallas cherche à mettre en évidence l’approche épistémologique de Jung, telle qu’elle lui permit de dégager sa notion d’archétype, et cherche à démontrer que c’est bien sa complexité, qui, pour certains, relève plus du flou théorique, qui en fait toute la modernité.
Enfin ce voyage se terminera par un article de Leslie de Galbert, qui relève autant du témoignage que de la réflexion sur les rapports que peuvent entretenir, pour certains, la psychologie analytique et la pensée bouddhiste. Nous souhaitons ainsi laisser aussi une place à des textes plus personnels, dès lors que leur élaboration ouvre sur des questions susceptibles de s’intégrer dans une réflexion scientifique d’ensemble. Comme le répéta Jung à de nombreuses reprises, le chercheur dans le champ de la psychologie en général, et de la psychanalyse et psychologie analytique en particulier, se trouve toujours engagé dans sa subjectivité même par l’objet de sa recherche.
Une seconde partie de ce numéro est consacrée à un nouvel ouvrage de Jung, La structure de l’âme, publié par L’Air du Temps, notre éditeur.
Il y a d’abord une préface à cet ouvrage, préface qui n’a pu être intégrée au livre du fait du choix éditorial effectué avec les ayant droits de l’œuvre de C.G. Jung (la “Foundation of the Works of C.G. Jung”). Ainsi cette préface figure dans le livre dans une version fortement écourtée, et dans ce numéro dans son entièreté. Elle reprend, en en explicitant certains aspects, le fil de cet ouvrage.
Le lecteur trouvera ensuite un article de Florent Serina, historien et chercheur français, qui travaille sur l’histoire du mouvement jungien en France, où il explicite la place, dans l’œuvre de Jung, de ce texte. Il s’agit d’une conférence que Jung a faite en 1928 à Genève, en français, qui n’a été publiée qu’une seule fois, de manière confidentielle (une version de ce travail, révisée en 1931, figure dans les WG et CW).
Nous espérons pouvoir ainsi offrir à nos lecteurs, tout au long des parutions de la RPA, un large éventail des différents travaux, cliniques autant que théoriques, issus de la psychologie analytique. Nous espérons aussi que les auteurs potentiels n’hésiteront pas à nous soumettre le fruit de leur travail, ce numéro témoignant — nous l’espérons — que la RPA est un espace éditorial ouvert à toutes les formes de pensée et de pratique de la psychologie analytique.
La lecture, quand elle nous parle, ouvre sur la réflexion, les questions, les critiques ou la controverse parfois. Comme nous l’avons déjà dit, il nous importe que la RPA ne soit pas un lieu d’échanges à sens unique, que nos lecteurs y trouvent une place, que puisse naître un espace d’échanges et de dialogues entre nos auteurs et leurs lecteurs. C’est pourquoi nous vous invitons à ce dialogue avec les auteurs, sur le forum de notre site web, espérant qu’ainsi la matière de chacun de nos numéros se trouve enrichie de la réflexion de nos lecteurs, et des approfondissements de la pensée de nos auteurs que celle-ci aura permise.
Nous vous souhaitons une bonne lecture, et espérons vous retrouver pour notre second numéro, prévu au printemps 2014.
François Martin-Vallas est psychiatre, docteur en psychologie, chercheur associé à l’Université Lyon 2 (univ-lyon2.academia.edu) et analyste superviseur à la Société Française de Psychologie Analytique (SFPA).
Il a une pratique privée de psychanalyste et travaille aussi en institution : psychiatre res-ponsable d’un Centre Médico-Psychologique pour Enfants et Adolescents et Psychiatre chef de service d’un Établissement et Service d’Aide par le Travail.
Il a écrit de nombreux articles, principalement dans les Cahiers Jungiens de Psychanalyse et le Journal of Analytical Psychology. Il a été membre du Comité de Programme de l’AIPA (2007-2013), et préside le Comité de Pro-gramme du prochain Congrès Européen de Psychologie Analytique (2018).
Il a été rédacteur des Cahiers Jungiens de Psy-chanalyse, et est Rédacteur en chef de la Revue de Psychologie Analytique. Il a gagné un prix d’honneur de la National Association for the Advencment of Psychoanalysis (New-York 2003) et le prix Michael Fordham du cinquan-tième anniversaire de la SAP (Londres 2006).
Docteur en Psychologie. Professeur à la PUCSP de São Paulo en Psychologie Analytique et directrice de thèse.
Membre analyste de la SBrPA (Sociedade Brasileira de Psycologia Analitica) dont elle a été Présidente, et membre de l’IAAP. Elle a été membre du Comité Executif de l’IAAP et Secrétaire Honoraire du Comité d’Éthique.
Elle a aussi été Co-éditrice de la Junguiana durant 10 ans, et est Directrice de Psychologie de l’Association Ser em Cena – Théâtre pour Aphasiques.